Fort Comme La Mort

Fort Comme La Mort

Author:Guy De Maupassant
Language: fr
Format: mobi
Published: 2010-06-08T22:00:00+00:00


— III —

Dès que la comtesse fut seule avec sa fille dans son coupé qui la ramenait à l’hôtel, elle se sentit soudain tranquille, apaisée comme si elle venait de traverser une crise redoutable. Elle respirait mieux, souriait aux maisons, reconnaissait avec joie toute cette ville, dont les vrais Parisiens semblent porter les détails familiers dans leurs yeux et dans leur coeur. Chaque boutique aperçue lui faisait prévoir les suivantes alignées le long du boulevard, et deviner la figure du marchand si souvent entrevue derrière sa vitrine. Elle se sentait sauvée! de quoi? Rassurée! pourquoi? Confiante! à quel sujet?

Quand la voiture fut arrêtée sous la voûte de la porte cochère, elle descendit légèrement et entra, comme on fuit, dans l’ombre de l’escalier, puis dans l’ombre de son salon, puis dans l’ombre de sa chambre. Alors elle demeura debout quelques moments, contente d’être là, en sécurité, dans ce jour brumeux et vague de Paris, qui éclaire à peine, laisse deviner autant que voir, où l’on peut montrer ce qui plaît et cacher ce qu’on veut; et le souvenir irraisonné de l’éclatante lumière qui baignait la campagne demeurait encore en elle comme l’impression d’une souffrance finie.

Quand elle descendit pour dîner, son mari, qui venait de rentrer, l’embrassa avec affection, et souriant:

«Ah! ah! Je savais bien, moi, que l’ami Bertin vous ramènerait. Je n’ai pas été maladroit en vous l’envoyant.»

Annette répondit gravement, de cette voix particulière qu’elle prenait quand elle plaisantait sans rire:

«Oh! Il a eu beaucoup de mal. Maman ne pouvait pas se décider.»

Et la comtesse ne dit rien, un peu confuse.

La porte étant interdite, personne ne vint ce soir-là.

Le lendemain, Mme de Guilleroy passa toute sa journée dans les magasins de deuil pour choisir et commander tout ce dont elle avait besoin. Elle aimait depuis sa jeunesse, presque depuis son enfance, ces longues séances d’essayage devant les glaces des grandes faiseuses. Dès l’entrée dans la maison, elle se sentait réjouie à la pensée de tous les détails de cette minutieuse répétition, dans ces coulisses de la vie parisienne. Elle adorait le bruit des robes des «demoiselles» accourues à son entrée, leurs sourires, leurs offres, leurs interrogations; et madame la couturière, la modiste ou la corsetière, était pour elle une personne de valeur, qu’elle traitait en artiste lorsqu’elle exprimait son opinion pour demander un conseil. Elle adorait encore plus se sentir maniée par les mains habiles des jeunes filles qui la dévêtaient et la rhabillaient en la faisant pivoter doucement devant son reflet gracieux. Le frisson que leurs doigts légers promenaient sur sa peau, sur son cou, ou dans ses cheveux était une des meilleures et des plus douces petites gourmandises de sa vie de femme élégante.

Ce jour-là, cependant, c’était avec une certaine angoisse qu’elle allait passer, sans voile et nu-tête, devant tous ces miroirs sincères. Sa première visite chez la modiste la rassura. Les trois chapeaux qu’elle choisit lui allaient à ravir, elle n’en pouvait douter, et quand la marchande lui eut dit avec conviction: «Oh! Madame la Comtesse, les blondes



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